Vous êtes à fleur de peau ? Le moindre événement vous submerge ?
Serait-il donc vrai qu’une femme enceinte serait « sous l’emprise » de ses émotions ???
Parfois les hormones nous jouent des tours, c’est vrai. Mais parfois, cela vient aussi de notre manière différente de voir et d’être au monde…
Bienvenues dans le monde de l’hyper-émotivité et de l’hyper-sensibilité… et pour faire le tri dans tous ces termes, j’ai fait appel à une grande spécialiste du sujet : Elodie Crépel.
Elodie est spécialiste de l’hypersensibilité et de la douance, autrice, conférencière. Elle accompagne les personnes hypersensibles et haut potentiel à faire de leurs caractéristiques une force positive dans leur quotidien.
Je vous invite vivement à la retrouver sur son site elodiecrepel.com ou sur les réseaux sociaux @elodiecrepel
Je suis ravie qu’Elodie partage avec nous ses compétences et ses expériences de maternité en tant que maman hypersensible ! Voici l’essentiel de nos mots…
Si vous préférez écouter cet échange, je vous invite pour 1/2 heure d’échanges audio.
Quelques repères pour commencer
Anne-Christine : Bonjour Elodie, pourrais-tu nous expliquer ce qu’est l’hyper-sensibilité et quelles sont les différences avec l’hyper-émotivité ?
Elodie : Merci de cette invitation : c’est un sujet qui me tient à cœur parce qu’on en parle peu et c’est vraiment dommage. L’hyper-sensibilité, du moins la sensibilité élevée comme on va l’appeler petit à petit (avec Saverio Tomasella, on essaie de changer les termes 😉 ), ça concerne jusqu’à 30% de la population, homme et femme confondus (il y a autant d’hommes que de femmes).
Cela veut dire que cela concerne 1 femme sur 3, et potentiellement, cette femme-là, un jour, va vouloir faire un enfant, va tomber enceinte et cela va avoir un impact sur sa grossesse et sa maternité. Je suis donc très contente que l’on puisse discuter aujourd’hui de ce sujet !
Pour répondre à ta question, dans l’hyper-sensibilité en réalité, il y a 2 grandes choses : l’hyper-émotivité et l’hyper-esthésie.
Hyper-émotivité
L’hyper-émotivité est une notion dont on en parle beaucoup parce que nous sommes dans une société qui met en avant le fait de gérer ses émotions. Dans gérer, il y a cette idée de canaliser, de contrôler. Avec l’hyper-émotivité, on passe rapidement pour quelqu’un avec une grande émotivité et on va être pointé du doigt en se disant qu’on a forcement un problème et qu’on va devoir résoudre ce problème parce qu’il n’est pas publiquement admis dans notre société d’avoir de grandes émotions et encore plus de les montrer.
Hyper-esthésie
Dans l’hyper-esthésie, un ou plusieurs de nos sens sont sur-développés et cela peut générer certaines difficultés au quotidien. Parfois, cela peut aussi passer inaperçu.
Par exemple, au travail dans un open-space, tu prends sur toi, tu gères plutôt bien et arrive le soir : tu es plus fatiguée que d’habitude, tu vas manquer de bienveillance, de patience, avec ton conjoint et avec tes enfants. Tu vas juste te dire que tu as un souci et que tu n’es pas assez bienveillante, pas assez patiente. Alors que tout simplement, si tu avais été moins sur-stimulée toute la journée, tu serais moins fatiguée. Mais on ne fait pas toujours le lien.
Je prends un autre exemple, très personnel : j’ai besoin que ce soit très épuré autour de moi. Je ne m’en suis aperçue que quand je suis devenue minimaliste. Je me suis alors dit que je me sentais mieux, plus légère. Parce que visuellement, j’ai besoin que ce soit très épuré. Sinon, je me sens rapidement écrasée. Ce sont des petits choses comme celle là qui faut connaitre sur soi pour ce sentir bien.
Un Hyper-sensible est à la fois hyper-émotif et hyper-esthésique.
Grossesse et charge émotionnelle
Anne-Christine : Est-ce que la grossesse pour une femme hypersensible demande plus d’efforts en terme de charge émotionnelle ?
Elodie : Totalement. Il ne faut pas faire de généralités mais déjà, une femme enceinte a un système hormonal bouleversé, et ces hormones rendent plus sensibles.
Quand on a déjà une grande sensibilité au départ, on peut alors parfois se sentir déroutée, submergée et se demander si elle ne devient pas folle.
Moi-même pour ma 1ere grossesse, ce sont des questions auxquelles je me suis confrontée : mon énergie, mon optimisme de d’habitude n’étaient plus là. Personne ne pouvait répondre et quand on va voir des thérapeutes non sensibilisés à ce sujet ils peuvent poser des diagnostics terribles
Anne-Christine : du type dépression ?
Elodie : Oui, mais aussi du type bipolarité.
La première question à se poser est « Est ce que d’habitude je suis comme ça ? ». Attention : cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire une dépression ou être bipolaire en étant enceinte. Mais tous et toutes, au delà de notre hyper-sensibilité, on peut tous être hyper-émotifs. Par exemple face à un deuil, un trauma, on devient hyper-émotifs et on ressent nos émotions de manière plus forte, plus dense que la plupart du temps. Et cela peut durer. Mais cela ne fait pas de soi quelqu’un d’hypersensible.
Certaines femmes enceintes peuvent se penser alors hyper-sensibles mais si c’est juste dans cette période-là, elles ne le sont pas. C’est lié à leur système hormonal. Au fur et à mesure que le système se remet comme avant, cette forte sensibilité s’estompe.
Certaines femmes peuvent savoir qu’elles sont enceintes parce qu’elles sont plus sensibles ! Pas fragiles mais sensibles aux odeurs, aux gouts, encore plus connectées au monde. Et puis, petit à petit, elles se retrouvent, au fur et à mesure que bébé grandit.
Des conseils pour pendant la grossesse ?
Anne-Christine : aurais-tu des pistes à conseiller aux femmes hyper-sensibles qui nous écoutent pour vivre une grossesse plus sereine ?
Elodie : Tout d’abord, le savoir. Avoir cette connaissance de soi, pour qu’elles arrêtent de dire « Qu’est ce qui ne va pas chez moi ? ». Rien, c’est normal. Parfois cette sur-stimulation permet aussi de lâcher-prise : c’est parfois tellement trop qu’on est obligé de prioriser. Sur soi, sur son bébé.
Par exemple, dans notre société actuelle, on veut tout faire très vite. Mais la grossesse est une période de notre vie très particulière. Certaines femmes sont alors arrêtées très trop, voire alitées. C’est un moyen aussi de revenir à une reconnexion à son corps, à son bébé.
Anne-Christine : J’ai une pensée toute particulière pour toutes ces femmes enceintes à qui on annonce qu’elles doivent rester alitées et qui prennent cette nouvelle plutôt mal. Souvent, ce sont des femmes hyper-actives. C’est peut être l’occasion pour elles de vivre ce moment là comme un temps d’intériorité, de connaissance de soi, de connexion à son corps et d’écoute envers son bébé.
Elodie : Oui. Les femmes les plus alitées sont le plus souvent très actives. Le corps dit stop.
C’est une chance d’être hypersensible et enceinte car c’est une moment de notre vie dans lequel on peut encore plus prendre soin de nos hyper-esthésie et hyper-émotivité et beaucoup de femmes le réalisent à ce moment là. C’est une grande chance pour le « après ».
Anne-Christine : on peut aussi mettre une carapace qui nous empêche d’accéder à cette part profonde de nous.
Elodie : oui si, jeune, on a ressenti le « trop », on s’est suradapté et il peut y avoir cette explosion pendant la grossesse. Il ne faut pas hésiter à demander de l’aide auprès d’un thérapeute, auprès d’une doula qui soutiendra pendant cette période. Demander de l’aide ne nous rend pas plus fragile. Au contraire, cela nous rend plus fort car cela nous donne une meilleure connaissance de soi. On sait où sont nos limites et on a la capacité de demander de l’aide quand on les a dépassées.
Hyper-esthésie et Accouchement : un duo compliqué ?
Anne-Christine : Après la grossesse, vient l’accouchement. Est ce que cet hyper esthésie engendre plus de crainte quant à la douleur de l’accouchement ?
Elodie : c’est une très grande crainte. Souvent l’hyper esthésie nous fait croire que nous sommes douillette. Cela n’a rien à voir. Et puis il faut distinguer douleur et souffrance. La souffrance est psychique et la douleur est physique.
La façon dont on va percevoir l’accouchement impacte notre façon d’appréhender la douleur. L’accouchement est très puissant. Ce n’est pas une sensation dont on a l’habitude et même avec des préparations, on y est jamais vraiment préparée… Cette sensation interne de notre corps qui s’ouvre, on peut vite s’inquiéter. Est il normal que je ressente ça ? La douleur peut alors devenir souffrance par la peur.
Pourtant, les femmes hyper-sensibles ont cette capacité incroyables de se mettre dans leur monde. Elles savent ce dont elles ont besoin. Plus elles sont connectés, moins elles souffrent.
Anne-Christine : Cette intensité de l’accouchement elles peuvent aussi le vivre comme un guide pour l’enfantement…
Elodie : Totalement. Si elles ont une bonne connaissance d’elle même, si elles ont eu un accompagnement dans ce sens pendant sa grossesse.
Anne-Christine : On peut dire qu’il existe 2 grands mouvements dans la physiologie. Le premier dit que la femme a déjà tout en elle et qu’elle reconnectera son instinct et saura enfanter. Le second courant part du même postulat mais ajoute que notre société, notre culture nous a conditionné et coupé de nos ressentis et instincts. Il faudrait donc se « préparer » à un événement naturel.
Elodie : Ce n’est pas pour rien que cela dure 9 mois. Dans les films, l’accouchement est très anxiogène, il y a constamment un sentiment d’urgence…
Anne-Christine : et les femmes ne peuvent pas accoucher seule…
Elodie : et on félicite le médecin !! la femme n’est plus au centre. Elle est passive. On n’a plus confiance en soi.
Comme toi, j’ai la sensation qu’il faut rééduquer nos esprits, redécouvrir ce qu’est un enfantement. On nous a coupés de nos sensations physiques. Avant de ressentir notre émotions, qui est une intellectualisation, il existe une sensation, dans notre corps. La grossesse permet la reconnexion indispensable à ce corps. Mais parfois, c’est trop douloureux de se reconnecter.
Hyper-sensibilité et Parentalité
Anne-Christine : Elodie, pour terminer, au delà de la grossesse et de l’accouchement, abordons le sujet de la parentalité. Comment les hyper-sensibles peuvent se préparer à gérer leurs propres émotions et celles de leur bébé, aux besoins intenses ou pas.
Elodie : On remarque que bcp de parents hyper-sensibles ont des enfants hyper-sensibles. Quid de l’inné ou de l’acquis je ne sais pas mais c’est une remarque.
On ne gère pas ses émotions mais on les accompagne. C’est en voulant gérer qu’on va se sentir incapable. Cela peut même aller jusqu’au burn out. Si toute sa vie on a tenté de gérer ses émotions, quand on a un bébé, alors là, c’est l’explosion parce que cela ne fonctionne pas. Le bébé ne se laisse pas faire et merci à lui.
S’occuper d’un BABI (Bébé Aux Besoins Intenses) est un apprentissage. Humainement, c’est épuisant. La parentalité ne peut pas se vivre seule, c’est fatiguant et demander de l’aide ne fait pas de soi une mauvaise mère. Quand on a un babi, on se sent jugée. Les professionnels de santé sont peu formés sur ce sujet, et il n’y a que ceux qui ont connu cela qui comprennent…
Anne-Christine : l’hypersensibilité nous rend plus empathique et cela améliore notre compréhension de notre enfant. Cela est une force même si cela peut être épuisant…
Elodie : Les femmes hyper-sensibles sont souvent des mères surinvesties car très connectées aux besoins de leur enfant. Et quand l’enfant va ressentir qu’il a la place de s’exprimer, il va le faire encore plus ! Mais cela passe et génère un vrai lien de confiance avec son enfant, car il se sent écouté, entendu. Ce sont souvent des enfants qui ont vite confiance en eux, autonomes émotionnellement.
Pour revenir à ta question, l’idée n’est pas de gérer mais d’être attentive à ses propres besoins et émotions et de les exprimer. Et ne pas hésiter à demander de l’aide et du soutien.
Pour être une bonne maman il faut être bien en soi. Pas se sacrifier.
Anne-Christine : Merci Elodie pour toutes ces connaissances. Merci de transformer notre vision sur l’hyper-sensibilité.
Elodie : L’hyper-sensibilité est un cadeau pour soi et pour le monde. La vulnérabilité est positive. L’humanité en a besoin. Les hyper-sensibles ne doivent pas se cacher. C’est toujours plus agréable d’être soi !
Tout le monde recherche de belles émotions : ce qu’on aime, c’est cette tendresse, c’est ce qui nous touche en plein cœur. On aurait moins besoin d’aller les chercher ces émotions à l’extérieur si on les acceptait à l’intérieur…
C’est ce qui fait notre humanité…
Très belle rencontre et sujet très intéressant. C’est vrai qu’on sait que la maternité décuple la sensibilité et la perception, alors les effets j’ai une femme (hyper) sensible de nature sont à anticiper. Très pertinente réflexion merci à toutes les deux !
Merci Anne-Christine pour cet interview !
Maman d’une petite fille BABI, je suis tout à fait d’accord avec le fait que c’est épuisant , + mentalement que physiquement. Mais c’est aussi vrai que je me suis super investi pour elle ( j’ai pris un congé parental alors qu’on me donnait une place en crèche par exemple, je l’ai donc refusée ). Impossible pour moi de laisser ma fille avec des professionnelles, certes qualifiées, mais trop peu formées aux BABI. On m’a quand même sorti quand elle y a été qu’elle demandait trop les bras (elle avait 10 mois) …
Oui, on entend encore trop souvent des réflexions assez éloignées (voire trop) du maternage proximal. Merci pour ton témoignage, être maman d’une Babi n’est en effet pas de tout repos !!!